Interview du jury – Camille Nicolle

Artiste, graphiste

  • Peux-tu nous raconter ton parcours personnel, ta formation et comment es-tu arrivée à Tournai ?

Je suis née en Bourgogne.

J’ai, d’abord, fait un bac économique et social à Lyon, puis durant 3 ans, une école d’arts appliqués (qui a fusionné en cours de route avec l’Ecole Nationale des Beaux-Arts) en graphisme et typographie.

Pendant que j’étais à l’école, j’ai fait plusieurs stages dans des maisons d’édition. J’étais déjà très intéressée par le graphisme et le livre.

J’ai effectué un stage aux éditions Esperluète, du côté de Namur et puis à la 5ème Couche à Bruxelles, chez Drozophile à Genève. J’ai également fait un stage au studio Folimage à Valence, un studio d’animation. J’étais curieuse de découvrir les rouages, la fabrique.

J’ai découvert les éditions Esperluète dans un salon du livre. Leurs livres m’ont touché tant par leurs formes que par leurs contenus. En 2005, je leur ai donc proposé ma candidature pour effectuer un stage chez eux.

Comme on s’est bien entendu, Anne Leloup, la directrice m’a proposé de terminer ma formation et de m’embaucher. Je me suis donc installée à Bruxelles et j’ai commencé par travailler un jour par semaine là-bas, puis à mi-temps, pendant cinq ans.

Pendant l’autre mi-temps, j’ai repris une formation à l’Académie Royale des Beaux-Arts à Bruxelles en illustration, pour travailler le rapport texte/image. Pas seulement la forme, mais aussi et d’abord : la narration. Une image oui, mais pourquoi ? Qu’est-ce que je raconte ? Comment ? L’apprentissage fut passionnant.

Puis, après sept années à Bruxelles, je me suis mise à rêver d’espace, d’atelier collectif, de résidence, d’aller voir ailleurs… Une résidence en Equateur, une autre dans le Morvan en France et je démissionne des éditions Esperluète.

Je reprends une formation aux Arts Décoratifs à Strasbourg, pendant un an, une semaine par mois. Le reste du temps, j’étais en résidence en Bourgogne.
C’était au « Centre de Formation pour Plasticiens Intervenants » : on y aborde des questions de pédagogie, de création, d’atelier, pour arriver à transmettre notre démarche de travail à un public. C’était riche de rencontres, de partages d’expériences. Nous étions une dizaine à suivre la formation, tout âges et disciplines confondus, avec des trajectoires très différentes. Philosophes, psychologues, artistes venaient parler des publics, de leurs démarches. Ça m’a amené à avoir une réflexion sur ma pratique, à mieux voir comment je la partage avec d’autres, à recontextualiser mon travail dans une histoire.

Après ça, je rêvais toujours d’un grand atelier pour imprimer, dessiner… C’est comme ça que je suis arrivée dans le Hainaut, dans une ferme, avec deux amis, puis trois et quatre.
Deux ans après, on a rendu les clés et depuis lors, je suis ici, à Tournai, le long de l’Escaut, dans mon atelier, qui est aussi mon logement.

Aujourd’hui, je partage mon temps entre graphisme, illustration, écriture, scénographie et des ateliers de temps en temps.

  • Sur quoi travailles-tu en ce moment, quels sont tes projets à venir ?

En ce moment, c’est quand même vraiment spécial. Pendant le 1er confinement, ce n’était pas facile, mais c’était clair :  tout était à l’arrêt. En même temps, j’avais la chance d’être dans mon atelier.

Mais maintenant, ça reprend vaguement, ça hésite… Trois pas en avant, un en arrière. Ça me donne la sensation (pas très agréable) d’être suspendue et de ne pas avoir beaucoup de prises.

En tout cas, je me rends vraiment compte que c’est important pour moi de construire des projets avec d’autres, d’échanger différentes manières de voir, de découvrir d’autres façons de faire. Sortir de l’atelier pour mieux y revenir. C’est ce qui me donne de l’élan.

Concrètement, je passe du temps, à développer ou transformer des projets qui auraient dû avoir lieu au printemps, qui ont été annulés puis postposés, puis annulés à nouveau.

Je co-organise, avec Hugo Fontaine, un festival de poésie, « Poésie Moteur » dont c’est la quatrième édition cette année. Je conçois la programmation avec Hugo et puis je m’occupe de tout ce qui est communication (papier) et d’une petite librairie. Nous avons dû transformer le projet qui avant se tenait durant deux jours à Vitrine Fraiche dans le piétonnier. Cette année ce sera 4 samedis, un samedi par mois, avec une jauge de 50 personnes.

D’autre part, je suis en train de concevoir une série d’ateliers autour du tricentenaire de la découverte du charbon pour Le Quartier, centre des arts plastiques à Fresnes-sur-Escaut, à côté de Valenciennes. Dans ce cadre je m’intéresse au sol et au sous-sol. Là où nous posons nos pieds chaque jour sans y prêter attention. J’ai envie d’explorer différentes matières. Je me documente au centre minier à Lewarde. Ce projet aussi a changé de forme. Une exposition aura lieu au mois de janvier avec Marie Garde, amie designer textile et sérigraphe, à Lille.

Je travaille également sur trois projets de livres :

  • Un album pour les petits, un jeu d’équilibre, des objets qui s’empilent et qui tombent au fil des pages, sans texte.
  • Un livre avec Françoise Lison-Leroy, qui a écrit des poèmes-toupie. Je tourne autour.
  • Un livre avec Laurence Vielle. C’est quand les enfants dorment…

J’ai exposé au centre de la gravure à La Louvière jusqu’au mois de novembre. Dans le cadre de l’exposition Tralala L’Art, j’ai conçu « Super Chemin », un jeu de pistes constitué de 535 pièces en bois, caoutchouc, mousse, plexiglas… En équipage avec Fredéric Degand, Dominique Henrion et le Fablab Wapi.

  • On constate qu’il y a souvent un rapport à l’espace dans tes travaux. Joue-t-il un rôle primordial pour toi ?

Oui, il a une grande importance. Que ce soit l’espace de l’atelier, son aménagement, ses circulations, l’espace de la page, l’espace-temps qu’ouvre l’objet livre, l’espace qui m’entoure…

La découverte d’une veine de charbon il y a 300 ans m’intéresse beaucoup pour ces raisons-là aussi : parce qu’elle révèle tout un espace invisible à nos yeux. « Le réel est épais, à qui veut bien lui donner toute son attention. »

Dessiner avec du charbon, récolter différentes matières de sols, creuser, voir comment les matières s’extraient, se transforment, se trient… Toutes ces actions et observations vont amener des images ou des formes en interaction direct avec l’environnement minier.

Je suis toujours entre l’atelier et le dehors, même si malheureusement cette période le permet moins.

  • Intersections réalise cette année une exposition d’affiches, Posters Now. Pour toi, quelles caractéristiques ce format présente-t-il ? Quelles contraintes impose-t-il ? Quelles libertés propose-t-il ?

Une bonne affiche attrape le regard. Une toute petite chose dans un grand espace blanc peut nous appeler, justement parce qu’elle va contraster avec la profusion d’images que nous voyons tous les jours dans la rue ou sur nos écrans. Pas la peine de crier.

J’aime l’idée qu’une image soit vue dans la rue, au hasard. Je rêve d’affiches-appel d’air, qui nous questionnent, qui ouvrent les fenêtres et le dialogue… Je rêve de tableaux dans les abris bus, de ciel étoilé sur nos trottoirs, plutôt que KFC ou Land Rover.

Quand je réalise une affiche, le dessin est au cœur, la peinture, la main, le geste, la matière… Peut-être pour aller à rebours de ces images hyper lisses qui nous assaillent de toutes parts. 

Je laisse aussi, souvent, beaucoup de blanc dans mes images. Parce que c’est de l’espace, de l’air ou du silence et je trouve que l’on en manque. Et aussi, cet espace « vide », c’est aussi l’espace du regardeur.

Hier, j’entendais à la radio : « A toi, appartient le regard et […] la liaison infinie entre les choses. »

Je travaille rarement en quadrichromie, plus souvent en tons directs, car j’aime les couleurs, leurs éclats, leurs vibrations. C’est comme ça que j’accorde une grande attention à l’impression, au papier.
Faire une affiche est un travail d’équipe.

Une autre chose qui donne du sens, une fois que l’affiche est imprimée c’est l’endroit où elle va être collée, épinglée, placardée, encadrée, projetée… C’est aussi le contexte qui fait l’impact de l’image.

A Tournai, il y aurait un travail intéressant à faire pour réfléchir, développer, créer un mobilier urbain d’affichage public… ça manque.

Questions/Réponses

  • Un mot pour définir ton travail

Curiosité

  • Un mot pour définir le design graphique

Echanger

  • Un artiste qui t’inspire

Bruno Munari

  • Une œuvre que tu gardes en mémoire

« Bestias » de la compagnie Baro D’evel

  • Un lieu important pour toi

Les carrières à Tournai

camillenicolle.org