Lors de la première édition de la Triennale d’art contemporain de Tournai, INTERSECTIONS, Dany Danino a réalisé l’oeuvre “Enseigne”, présentée sur le mur d’entrée du Musée de Folklore et des Imaginaires. Cette installation urbaine pérenne est composée de nombreux dessins rappelant des éléments emblématiques de la “cité des 5 clochers” et des objets des collections du musée.
L’artiste nous parle de son oeuvre, de sa technique et de ses inspirations.
L’œuvre « Enseigne » est réalisée sur de la porcelaine. Comment appréhender ce support, a-t-il changé quelque chose dans la conception de cette œuvre, a-t-il induit certaines choses ?
La porcelaine s’est imposée naturellement pour la création de ce travail. C’est un vieux rêve qui trouve sa source dans l’esprit des Azulejos du Portugal. Ces faïences me fascinent de par leur coté dense et baroque. Composées de volutes d’azur, elles évoquent l’humanité et son mouvement perpétuel et insondable. La Chapelle des Âmes à Porto ouvrant ses façades, telle un livre au passant, en est l’exemple le plus emblématique à mes yeux.
Ces carreaux de céramique imprègnent mon imaginaire plastique d’inspirations fécondes et répondent à une sublimation poétique.
Sous un angle plus pragmatique, la réalisation d’une faïence nécessite d’en comprendre les enjeux et spécificités matérielles afin de les questionner durant le processus technique.
C’est une connaissance en soi qu’il faut assimiler afin d’en saisir ensuite la résultante plastique. Il en va de même pour toutes les techniques dont j’use (dessin, gravure, lithographie, sérigraphie, peinture, …) et des matériaux qui les caractérisent (stylobille, pastel, aquarelle, encre, huile, …).
Toutes ces techniques, travaillées sur des supports très variés, donnent lieu à des actes de la main hybrides.
L’une des caractéristiques de votre travail est superposition des références, la répétition des motifs
Cette profusion d’images mises ensemble ne permet-elle pas de partir du particulier (ici le folklore de Tournai) pour se perdre dans le général (notre imaginaire collectif) ?
J’affectionne les figures qui se complètent, s’additionnent, se saturent, se traversent, se transpercent, appelant un certain enlisement de l’image. La contamination répétitive de la figure peut être réelle ou s’amalgamer tel un phasme jusqu’à devenir in/forme. La distance joue aussi son rôle.
A proximité, certaines choses sont reconnaissables ou à contrario méconnaissables. Le support est permutable, visible sur chacun de ses côtés. La limite entre figuration ou abstraction est fictive : cette détermination ne m’intéresse pas. La facture se matérialise à l’endroit où l’œil parvient non pas à décrire mais à formuler une partition de signes.
En ce sens, la démultiplication des techniques me fascine, tout comme celle des images. Ma curiosité n’a pas de limite par rapport à ce que la main sait et peut restituer. La question des savoir-faire dits « traditionnels » et de leur prolongation est plus que jamais d’actualité.
L’artiste du présent est celui qui poursuit une pratique dans la pleine conscience de l’instant. L’imagier graphique qui jalonne l’œuvre « Enseigne » qui se situe au coin de la rue du Musée du Folklore et des Imaginaires de Tournai est un écho direct au musée et à sa ville. On peut y découvrir : des crânes, des crucifix, la cathédrale, une reproduction du duc d’Egmond de Gallait, des masques du folklore tournaisien, un réverbère, un vierge à l’enfant, des mannequins articulés, … et ce dans une scénographie digne d’une carte heuristique.
A l’extérieur, ces thèmes sont peints sur des carreaux de céramique découpée au format d’un calice de Vauban. Du centre de l’œuvre s’excentre un éclat, un rayonnement qui ouvre la composition vers l’extérieur. Dans l’espace public, la faïence « Enseigne» sur l’intime mémoire humaine conservée.
Présenter une œuvre dans la rue, c’est la sortir de son environnement habituel, ce qui a été le leitmotiv de la première édition d’Intersections, comment avez-vous appréhendé cela ?
La liberté et la palette d’expression qu’« Intersections » m’a permis de mettre en œuvre constituent sans nul doute son point fort. C’est une expérience assez unique dans une vie que de pouvoir sortir d’un espace de galerie, habituellement plus diaphane, et de répondre à 10 lieux divers simultanément.
Ce sont finalement des partitions hétéroclites. Dans chaque espace, un dialogue s’est construit avec le bâtiment, le conservateur et la collection. Il s’agissait aux Beaux-Arts, au Musée du Folklore et au Musée des Sciences Naturelles de devenir un caméléon, de s’intégrer dans les collections comme si nous avions toujours été là.
Les dispositifs dans ces trois cas utilisaient la structure possible et existante, tout en investiguant l’identité du lieu. Au Tamat et à l’Office du Tourisme, le dispositif était plus proche d’un accrochage dans une gallerie : comment envisager une succession d’images de manière plastico-conceptuelle ? L’église Saint-Jacques est la cerise sur le gâteau, un défi sans mesure, où la répartie monumentale d’un Christ suspendu horizontalement en 3 vélums est en soi la recherche d’un absolu.
Il me semble avec le recul que le parcours et la rencontre sociale et culturelle de tout un chacun avec ces ouvrages in situ fut L’occasion unique d’un parcours initiatique en soi. En ce sens, l’œuvre « Enseigne », située dans l’espace publique de façon définitive, reste à l’épreuve du regardeur au fur et à mesure du temps et des saisons.
Elle constitue aussi une trace immémoriale de la première triennale.