Plasticien, designer et imprimeur d’art, fondateur du studio de créations imprimées « Au Chiffon d’Encre ».
- Peux-tu te présenter, ainsi que le travail que tu fais?
Xavier Michel, plasticien, designer et imprimeur d’art fondateur du studio de créations imprimées « Au Chiffon d’Encre ».
Plasticien car j’ai toute une approche et des recherches en art plastique, en travaillant essentiellement sur l’image imprimée sur multiple.
Designer car j’ai une spécialisation en, ce que moi je nommerais, le design imprimé c’est à dire l’intégration au design graphique de tout le matériel lié à l’image imprimée tant ancien qu’actuel et qui est utilisé directement à des fins de conception et non pas à des fins d’exécution. L’idée est de travailler l’image imprimée en tant que moyen à part entière, en tant qu’écriture, en tant qu’élément graphique en tant que tel.
Imprimeur d’art car j’accompagne aussi des projets au niveau artistique pour des designer et des plasticiens ou des particuliers. On réalise ensemble l’impression soit d’œuvre d’art plastique soit des conceptions de design graphique qui demandent un accompagnement.
Le travail de l’image imprimée ce n’est pas que de l’off set, ce n’est pas que du numérique, il y a aussi la typo, la litho, la gravure et d’autres… l’ensemble des médiums peuvent amener quelque chose et un propos cohérent à la recherche du plasticien ou du designer.
L’impression fait partie de l’œuvre.
- Quel a été ton parcours, tes formations, tes expériences professionnels qui ont mené à ce que tu fais aujourd’hui ?
Depuis que je suis tout petit, je suis intéressé par la science. Quand j’étais en primaire, je voulais devenir paléontologue, j’étais passionné par la préhistoire.
Puis petit à petit, par le biais des hasards, vers 12/13 ans, j’ai commencé à faire de l’ornithologie. En faisant ça, j’ai commencé à dessiner, à croquer des oiseaux. Vers 13/14 ans, très fier de moi, un peu trop sans doute, avec une farde et des planches que j’avais réalisées, j’ai été dans une petite association ornithologique à Bruxelles pour leur présenter mes travaux et demander s’ils avaient besoin de quelqu’un pour illustrer leur revue.
Ils m’ont regardé avec un grand sourire, mais ils ont été très chouette car ils m’ont expliqué qu’il y avait un peintre animalier dans le quartier, Eric Daniels, qui réalisait notamment quelques timbres postes animaliers. J’ai alors commencé à travailler dans son atelier et j’ai appris à peindre des animaux de manière illustrative et scientifique, poil par poil, plume par plume…
C’est comme ça que j’ai commencé à vraiment dessiner.
Pour la petite anecdote, lui-même ne vivait pas de ce travail, c’était juste une passion, il était en réalité inspecteur de police. On avait donc monté un atelier de peinture dans les greniers du commissariat de police à Jette.
J’ai toujours continué l’ornithologie, continué à dessiner des oiseaux et puis vers 18 ans, j’ai été en humanité artistique, à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles avec plein d’illustrations d’oiseaux en tête, mais ça m’a ouvert d’autres portes, un questionnement, un cheminement et j’y ai rencontré des profs très intéressants qui m’ont permis de me développer.
Parmi ces rencontres, il y en a une qui m’a marquée particulièrement, avec mon professeur de dessin en humanité, Roger Dewint. A la fin de mes humanités artistiques, j’hésitais entre le dessin ou la peinture monumentale, car le travail en très grand format m’intéressait énormément.
A la fin de mes humanités, je suis allé voir Roger Dewint en lui faisant part de mon hésitation, il m’a répondu « Viens à mon cours de gravure qui pourrait répondre à cette double envie car il y a un rapport au trait comme dans le dessin, sauf qu’on appelle ça une taille, et pour le rapport à la couleur et au grand format de la peinture monumentale, cela peut aussi se retrouver en gravure ».
Et donc je me retrouve dans cet atelier de gravure pour faire mes supérieures artistiques en ne sachant absolument pas ce que c’était que la gravure. Et quelque part j’en suis très content, car c’était justement ça qui m’intéressait plus, de découvrir cette nouvelle technique et pouvoir me réapproprier ce médium.
Donc j’ai fini mes études artistiques en gravure, lithographie et image imprimée.
En même temps qu’en étant étudiant à l’académie, je faisais des cours du soir en sculpture car le volume m’intéressait aussi énormément.
Je faisais aussi des cours du soir en infographie (premier cours du soir en infographie à Saint Luc à Bruxelles) pendant 2 ans. Par contre, je n’aimais pas les claviers d’ordinateur car il me manquait le travail de la matière par rapport à la gravure et la sculpture.
J’ai mis ça pour un temps entre parenthèse.
Premier job, je travaillais pour une société d’étude ornithologique et je faisais de l’animation nature et de la conception graphique : panneaux didactiques, feuilles de publications, revue de vulgarisation scientifique.
Puis, j’ai obtenu un poste d’assistant à l’Académie de Bruxelles pour le cours de gravure et image imprimée et parallèlement à ça je donnais des cours du soir à l’institut La Parure à Bruxelles en gravure – bijouterie (graveur buriniste).
J’ai aussi donné cours à l’Académie de Woluwe en gravure-lithographie.
Et puis je suis devenu titulaire en gravure à l’Académie de Bruxelles pendant de nombreuses années.
Et enfin, je suis passé à autre chose, pour créer la structure, Au Chiffon d’encre, atelier multidisciplinaire consacré à l’image imprimée.
Ce qui passe à l’atelier va de l’accompagnement de projet artistique pour des expo pour des musées, en passant par la réalisation de cartes de visite, conception graphique de logo et d’identité visuelle axée au niveau du print et aussi des livres d’artistes, des livres-objets, des boitiers cd collector…
La démarche plastique m’amène à la réflexion dans mes conceptions graphiques : qu’est-ce qu’une ligne, un trait, un pli, une charnière, une taille, une trame, un pixel et leurs différentes fonctions. Tout s’hybride et se mélange.
C’est important d’avoir une partie travail en tant que plasticien et une partie travail en tant que designer car l’un questionne l’autre.
- Quel lien entretiens-tu avec les artistes, est-ce qu’on peut parler d’une création commune d’une œuvre ?
J’utilise souvent le terme : « à main multiple ».
Je suis très attaché à la pédagogie, quand on enseigne : c’est un échange, on transmet quelque chose mais on en reçoit également.
Lors de travaux avec un plasticien ou un designer, c’est pareil. Ils arrivent souvent à l’atelier en demandant si l’on peut « reproduire » leur création. Mon travail consiste à les accompagner. On requestionne le projet, on remet en question la démarche, c’est là que les déplacements s’opèrent. Il y a vraiment un échange.
Même si c’est imprimer pour quelqu’un, en réalité il y a un dialogue très riche.
Cette relation n’est pas neuve : Déjà, Félicien Rops entretenait une relation particulière avec son imprimeur pour « Pornocratès ».
Par exemple, avec un groupe de musique : j’avais reçu toutes les bandes sons d’un côté, tous les textes d’un autre, et puis on amène des propositions qui doivent être cohérente entre propos, médium, support d’impression pour que tout cela s’articule.
- Tu as un atelier très particulier, avec pas mal d’anciennes machines. Quelles différentes techniques utilises-tu ?
La particularité de l’atelier, c’est que les presses d’imprimerie sont directement dans l’atelier et donc on ne travaille pas que via l’ordinateur, on peut expérimenter directement les impressions sur les presses.
On peut prendre les caractères de plombs, un morceau de bois ou de métal et graver dedans, on imprime et on voit directement ce que ça donne. On prend une prise de vue, on rescanne, on retravaille de manière numérique, ça va générer une nouvelle matrice, et ainsi de suite, le travail évolue au gré des recherches. Pour moi, les presses d’imprimerie ne sont pas que des machines de (re)production, ce sont surtout des outils qui contribuent à la création, à des écritures singulières. Ce sont ni plus ni moins de gros crayon ou de gros pinceaux au service de la création.
Le processus de l’image imprimée arrive donc dès le départ dans le processus de création.
La presse typo me tient à cœur, car j’ai l’impression que c’est un peu le tout chemin de l’image imprimée, on peut travailler sur la pression, travailler à l’encre et amener les questions de superposition, d’opacité, de transparence, on peut travailler sur plein de supports papier différents, qui réagissent de manières différentes.
Une autre presse typo de l’atelier est équipée d’un groupe de marquage à chaud monté dessus ce qui permet de faire tout ce qui est dorure holographique, impression métallique…
Les films holographiques sont beaucoup utilisés pour tout ce qui est sécurisation de document, éviter la falsification de document, je travaille aussi sur ça.
Sur les presses typo on sait aussi faire tout ce qui est travail de découpe à la forme et tout ce qui est travail de plis.
Les plasticiens découvrent ces différents matériaux et les requestionnent aussi. On va amener une autre dimension encore, comment les utiliser à des fins graphiques.
Ici je travaille avec une presse Heidelberg, une platine Heidelberg et une presse à épreuve FAG.
Les connaissances des procédés anciens permettent de questionner les procédés actuels, et la connaissance des procédés contemporains permet de remettre en question les procédés anciens. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas une forme de nostalgie par rapport aux procédés anciens, mais qu’est-ce qu’on fait avec ces outils. Comprendre le fonctionnement de chaque machine pour pouvoir en repousser les limites et en expérimenter toutes les possibilités.
- Sur quels projets travailles-tu actuellement ?
Durant cette période de confinement, nous avons travaillé à plusieurs avec Olivier Deprez (qui travaille le bois gravé et possède un atelier mobile), Roby Comblain (plasticien et il imprime de la xylogravure, impression relief sur presse eau forte) et moi-même pour monter une structure commune, qui s’appelle « multiple de 3 ».
Nous avons chacun des questionnements différents par rapport à l’image imprimée c’est ça qui était intéressant à rassembler. Nous avons notamment la volonté de mettre en place la possibilité d’organiser des expositions. Nous avons créé un site internet, en éternel développement, qui permet notamment la vente d’œuvre en passant par l’édition à venir d’un essai (philosophie de l’art) tout en y intégrant la revue « HOLZ » (Olivier Deprez / Roby Comblain) au projet.
J’ai également un projet d’édition de livre-objet, avec Blaise Dehon qui est illustrateur et qui travaille notamment pour la Libre Belgique.
Un travail sur un élément narratif qui se passe dans les années 50-60 en Afrique centrale.
- Pour toi, quelles caractéristiques, quelles contraintes et quelles libertés offre le format de l’affiche ?
Qu’est-ce que quelque chose de grand ? Qu’est-ce que quelque chose de petit ?
Certes il y a le format, mais selon la façon dont on dispose les éléments, dont on forme la composition et bien on peut donner une sensation de grandeur sur une pièce qui est toute petite, et une sensation de petitesse dans un format très grand.
Avec une affiche, on se retrouve généralement avec des dimensions importantes et pour l’articuler tout dépend du message qu’on veut faire passer, de ce qu’on veut ou doit faire dire à l’affiche.
Je trouve que c’est source de questionnement sur comment l’affiche est-elle mise dans l’espace, à quel environnement est-elle destinée : sur un mur, dans un abribus avec rétroéclairage ?
Par exemple, que va amener ce rétroéclairage ? Normalement une affiche, c’est juste un recto, mais en même temps si elle est pliée, ça peut devenir encore autre chose, il peut y avoir une information au dos, si on travaille avec un rétroéclairage cette information au dos peut transparaitre, cela peut être intéressant aussi…
Souvent l’affiche répond à une commande et il est intéressant de constater qu’au plus il y a des contraintes, au plus on peut imaginer de s’en échapper. Ce qui m’intéresse c’est de voir comment on réagit à une contrainte, quelles sont les échappatoires qu’on peut trouver face à ces contraintes. Les stratégies qu’on peut mettre en place pour zigzaguer face à une contrainte. Comment on interprète la commande, comme la transformer, prendre de la distance, de la liberté.
Questions / Réponses
- Un mot pour définir ton travail?
Multiple
- Un mot pour définir de design graphique
Propos(er)
- Un artiste qui t’inspire
La musique, le son m’inspirent fortement. Là, maintenant : Underviewer (groupe pour lequel j’ai créé et imprimé sur presse typo une pochette d’album). C’est un groupe composé par Patrick Codenys et Jean-Luc De Meyer, tous deux membres de Front 242, un groupe que j’écoute depuis que je suis ado.
- Une oeuvre que tu gardes en mémoire
Pour l’émotion qu’elle m’a procuré : les Nymphéas de Monet à l’Orangerie.
- Un lieu important pour toi
Etre dehors.